Partir à la rencontre des cueilleuses de thé au Sri Lanka, un sujet banal pour celui qui n’a pas visité une fois dans sa vie une plantation de thé. Celui qui savoure ce nectar chaque jour, confortablement installé dans son canapé, sans jamais oser penser à quel prix ce thé est arrivé dans sa tasse. A quel prix des petites mains travaillent durement qu’il pleuve ou qu’il vente pour nous permettre de jouir de ce rituel quotidien.
J’aurais pu choisir une plantation située dans la célèbre et touristique région de Nuwara Eliya. Là où les bus sillonnent les routes sinueuses au coeur de l’île pour y déverser des touristes par centaines depuis les aurores. Là où les fabriques de thé ont su tirer profit de cette manne touristique et où les conditions de travail ont quelque peu évolué même s’il reste encore beaucoup à faire.
Passara, village situé à 29 km d’Ella, haut lieu touristique en plein coeur du Sri Lanka dans le district de Badulla. Et pourtant village encore méconnu. Ici, aucun bus de touristes, aucun hôtel. Rares sont les étrangers qui osent s’aventurer dans la région à moins d’avoir du temps devant soit. Beaucoup de temps pour parcourir les routes montagneuses entre forêts et plantations de thé. Paysage pourtant magnifique. Loin des circuits touristiques. Authentique.
Il y a deux ans, je séjournais à Passara chez Nishan qui a construit une chambre d’hôtes en plein coeur des plantations de thé, Aelam Garden. J’avais été très touchée par ces cueilleuses de thé que je voyais arpenter continuellement les collines pentues chargées de gros fagots sur le dos ou de sacs remplis de ces feuilles de thé qui allaient peut être leur permettre de manger à leur faim pour une journée.
A l’époque, je m’étais aventurée dans ce même village mais les familles ne parlant pas anglais et ne parlant pas moi-même tamoul, je n’avais pu échanger avec elles sur leurs conditions de travail. Cette fois-ci, j’ai pu aller à leur rencontre grâce à Nishan qui m’a servi d’interprète puisqu’il parle couramment tamoul.
Et dernièrement un livre, Cueilleuse de thé, de Jeanne-Marie Sauvage-Avit m’a donné l’envie de rencontrer ces femmes et me rendre compte moi-même du quotidien des cueilleuses de thé en 2019 au Sri Lanka. Un très beau livre que je vous invite à découvrir à travers l’histoire d’une jeune cueilleuse qui va réussir à donner une chance à ses rêves.
Qui sont les cueilleuses de thé au Sri Lanka?
Ce sont les anglais qui font venir la main d’oeuvre tamoule depuis le sud de l’Inde au 19è siècle au Sri Lanka. A l’époque, les cinghalais sont employés dans les rizières, ils rechignent à travailler dans les plantations de thé, une tâche difficile en raison du climat rude dans les montagnes. Qu’il pleuve ou qu’il vente, qu’il fasse un froid glacial ou une chaleur insoutenable, les cueilleuses de thé ne connaissent pas de répit. Travaillant sans protection contre les insectes, les serpents qui pullulent dans les plantations ou encore plus grave contre les pesticides utilisés.
Les femmes du sud de l’Inde arrivent jusqu’au Sri Lanka, suivies des filles, des petites filles car le métier de cueilleuse de thé est une tâche réservée aux femmes. Trop ingrate pour les hommes. Vous verrez quelques hommes travailler dans les plantations mais ils ne cueillent en général pas les feuilles de thé, ils sont chargés de préparer le terrain, planter et enlever les branches sèches.
Où vivent les cueilleuses de thé?
Les familles tamoules sont installées dans des maisons accolées, les lines, habitations construites à l’affilé à proximité des plantations de thé. Une pièce fait office de chambre, une deuxième pièce sert de cuisine. La cuisson se fait au bois qui est entassé à l’extérieur.
Une famille entière vit dans cette maison de deux pièces. Un seul lit pour tous mais la plupart dormiront le plus souvent à même le sol et les plus petits, dans un hamac suspendu au plafond. Les toilettes sont absentes bien sûr. L’eau n’est disponible qu’à l’extérieur. L’électricité est fournie mais elle sera déduite du salaire.
Je vous laisse imaginer les problèmes de voisinage liés au manque d’espace, à la précarité des lieux et au manque d’intimité exposant les femmes à un risque élevé de harcèlement sexuel ou encore de viol comme il est encore fréquent. L’alcool ne facilite pas les rapports, les hommes consommant l’arrack, alcool local fabriqué à base de fleurs de cocotier. Mais aucun problème de ce type ici selon les femmes…
Une épicerie est située à proximité du village des cueilleuses, commerce qui appartient au propriétaire de la plantation où les familles peuvent acheter le nécessaire pour cuisiner, fruits et légumes, riz ou encore produits d’hygiène. Le montant des courses n’est pas payé en direct par les familles mais il est déduit du salaire des cueilleuses de thé.
A quel âge devient-on cueilleuse de thé?
L’âge légal pour travailler au Sri Lanka est fixé à 16 ans. Quand je demande aux cueilleuses de thé à quel âge elles ont commencé à travailler dans la plantation, la majorité me répond 17 ans mais souvent les jeunes filles commencent à travailler avant cet âge-là, c’est une réalité.
Depuis ma visite en 2017, certaines se sont mariées, le plus souvent avec un homme travaillant dans la plantation. Il s’agit en général d’un mariage arrangé. C’est ainsi que les familles sont installées depuis plusieurs générations.
Quel est le salaire d’une cueilleuse de thé?
Une cueilleuse de thé doit récolter un quota minimum de feuilles par jour pour obtenir un salaire de 500 roupies. A celui-ci s’ajoute une allocation de 200 roupies, soit un salaire journalier de 700 roupies, environ 3 euros par jour. Ce quota minimum était de 16 kg dans la plantation que j’ai visitée. Oui vous lisez bien 16 kg!
Mais le climat étant très aléatoire dans cette région montagneuse, il peut pleuvoir très souvent, il peut également faire froid ou très chaud et les quotas sont rarement atteints. Ces jours-là, les cueilleuses de thé verront leur salaire journalier diminué de 230 roupies environ. Vivre avec un salaire journalier de 2 euros, voilà le quotidien des cueilleuses de thé.
Lorsque j’ai demandé à toutes les femmes de quoi elles avaient le plus besoin, nourriture, vêtements… elles m’ont toutes répondu: un salaire plus élevé pour subvenir aux frais de scolarité et santé de notre famille.
Les salaires sont en théorie revalorisés tous les 2 ans. Plusieurs fois, les politiciens sont venus au moment des élections, promettant aux familles d’augmenter ce salaire minimum en échange de leur vote. Mais les choses n’ont pas changé malheureusement.
Dernièrement, les cueilleuses de thé ont mené des revendications en exigeant un salaire minimum de 1000 roupies par jour, soit un peu plus de 4 euros. Mais elles n’ont à ce jour pas été écoutées, les compagnies prétextant des coûts de production élevés et une chute des bénéfices face à la concurrence d’autres pays voisins comme l’Inde.
Jusqu’à quel âge est-on cueilleuse de thé?
Certaines femmes sont âgées, l’une d’elle a plus de quatre-vingts ans. Je l’ai vu cueillir les feuilles de thé comme les autres dans la plantation et elle est maintenant assise avec un groupe d’autres femmes âgées, occupée à trier les feuilles à même le sol.
Bien qu’à l’âge de la retraite, ces pauvres femmes qui ont travaillé toute leur vie se voient obligées de continuer à travailler pour nourrir leur famille et survivre. On naît dans la plantation, on y travaille toute sa vie et on meurt dans la plantation. Bien triste vie d’une cueilleuse de thé.
A ce moment-là, les sourires illuminent les visages et la lueur qui jaillit dans leur yeux me confirment que les familles sont heureuses de ma présence. Bonheur total lorsque je distribue à chacun des fournitures scolaires. En remerciement, on tient à m’offrir des biscuits et une boisson malgré leur pauvreté.
A ma dernière question: Que pensez-vous de la présence ici d’une étrangère qui vient à votre rencontre pour parler de vos conditions de travail? Elles m’ont répondu: Nous sommes heureuses de pouvoir discuter avec vous et très fières que des personnes comme vous s’intéressent à notre vie de cueilleuses de thé. Cette réponse est certainement le plus beau cadeau qu’elles pouvaient me faire.
Je tiens à remercier Nishan sans qui cette rencontre avec les cueilleuses de thé et leur famille n’aurait pu avoir lieu. Cette fois-ci, j’ai pu m’entretenir longuement avec les familles grâce à un interprète.
Nous ne pouvons rester insensible face à un sujet aussi grave que celui-ci des cueilleuses de thé que ce soit au Sri Lanka ou dans tout autre pays.
Certaines grandes marques se vantent d’arborer un label garantissant de meilleures conditions commerciales aux producteurs du sud, mais pas seulement. Leurs objectifs principaux sont d’assurer une rémunération du travail des producteurs pour subvenir à leurs besoins élémentaires. Refuser toute forme d’esclavage ou de travail forcé y compris l’exploitation des enfants. Instaurer des relations durables entre les partenaires économiques. Favoriser la préservation de l’environnement et proposer aux consommateurs des produits de qualité.
Certes, mais à qui profitent réellement les millions générés par les multinationales du commerce du thé? Certainement pas aux principaux acteurs de cet immense marché, en l’occurrence les cueilleuses de thé. La réalité est bien loin de ces codes d’éthique qui ne seraient finalement qu’un argument commercial.
Il est urgent que la communauté internationale se réveille et exige un respect des conditions de travail et une revalorisation des salaires pour donner aux cueilleuses de thé et à leur famille une vie décente. Car croyez-moi, elles le méritent grandement.
Un tuk-tuk pour deux
J’ai vu moi aussi les cueilleuses de thé au Sri Lanka et en Inde et j’ai également lu La cueilleuse de thé qui donne un aperçu de la misère de ces pauvres femmes qui travaillent sans relâche pour des salaires de crève-faim avec des conditions de travail quasi inhumaines. Merci pour cet article que je m’empresse de partager. Souhaitons à ces femmes courageuses que justice leur soit rendue et une vie meilleure, elles le méritent tellement.
OneDay-OneDream
Merci Un Tuk-Tuk pour deux de votre soutien. Vous avez raison, elles le méritent vraiment!